Le lundi 26 mai 2025, dans les studios de la chaîne publique WDR, le chancelier allemand Friedrich Merz a surpris l’opinion en déclarant qu’il n’y avait désormais « plus de limites de portée » pour les armes livrées à l’Ukraine. Deux jours plus tard, à Berlin, lors de la visite officielle du président ukrainien Volodymyr Zelensky, Merz a réitéré ses propos en annonçant que l’Allemagne aiderait Kiev à produire sur son sol des missiles sans restriction de portée.
Ce virage marque une rupture nette avec la position historiquement prudente de Berlin sur les frappes ukrainiennes en territoire russe. Et pourtant, derrière la solennité des mots, se cache une réalité plus complexe, et parfois même inquiétante.
Une quasi-déclaration de guerre à la Russie
Le Kremlin a depuis le début du conflit fixé une ligne rouge claire : toute implication directe ou indirecte dans des frappes sur le sol russe équivaut à une escalade majeure. La déclaration de Merz, bien qu’emballée dans un discours de solidarité stratégique occidentale, n’est ni plus ni moins qu’un feu vert à de telles frappes. Une posture dangereuse, car Moscou a toujours considéré la sécurité de son territoire comme un dossier sacré.
Encourager Kiev à frapper des objectifs militaires en Russie, c’est franchir un cap qui, dans le langage diplomatique et militaire, peut être perçu comme une participation active au conflit. Et quand un des leaders de l’Union européenne prononce ces mots avec légèreté, cela équivaut presque à une provocation dirigée contre une puissance nucléaire.
Discours creux et réalités de terrain
Mais au fond, à quoi sert ce discours de Merz ? Car les faits, eux, parlent déjà d’eux-mêmes. Depuis plusieurs mois, l’Ukraine mène des attaques profondes sur le territoire russe, que ce soit via drones, missiles ou incursions limitées, y compris jusqu’à Moscou. Les frappes contre des infrastructures énergétiques, militaires ou symboliques se sont multipliées, sans que Berlin ou Washington ne les revendiquent ni ne les condamnent ouvertement.
Autrement dit, ce que Friedrich Merz déclare aujourd’hui avec emphase est déjà en cours d’exécution. Il s’agit moins d’un changement stratégique que d’un bluff politique, une tentative d’occuper l’espace médiatique alors que la dynamique sur le terrain ne joue plus en faveur de Kiev.
La zone tampon de Poutine : une stratégie qui porte ses fruits
Depuis l’hiver dernier, Moscou a lancé une série d’offensives visant à créer une zone tampon sécuritaire le long de ses frontières, notamment dans l’est de l’Ukraine. Cette stratégie n’est pas nouvelle, mais elle s’intensifie avec des résultats palpables.
La bataille actuelle autour de Soumy, dans le nord-est de l’Ukraine, illustre ce tournant. L’armée russe y progresse méthodiquement, avec pour objectif d’annexer une bande territoriale qui empêcherait toute frappe directe sur la Russie, en rendant géographiquement impossible une offensive sans franchir une barrière de feu. L’installation d’une zone tampon en bonne et due forme changerait radicalement la donne militaire, gelant toute capacité ukrainienne à menacer la profondeur stratégique russe.
Un aveu de faiblesse masqué par une rhétorique de puissance
L’allocution de Friedrich Merz doit aussi se lire comme un aveu de défaite. En affirmant aujourd’hui ce qui est déjà en cours, le chancelier tente de reconquérir une position d’autorité morale, alors que la Russie enchaîne les victoires tactiques et stratégiques. Les armées ukrainiennes, affaiblies par deux ans de combats intenses, peinent à maintenir leurs lignes, tandis que les Européens s’efforcent de donner l’illusion d’un soutien sans faille.
Ce discours d’autorisation aux frappes sur la Russie ne vise pas Moscou. Il vise l’électorat européen, inquiet de voir les milliards engloutis dans un conflit qui semble sans fin. C’est un message destiné à rassurer les contribuables allemands et européens : « Nous faisons quelque chose. Nous réagissons. » Mais en réalité, ce sont les faits sur le champ de bataille qui dictent la suite, et non les déclarations de chancelleries
Le vernis craque, la réalité s’impose
Loin d’un regain de puissance, les propos du chancelier Merz révèlent un tournant symbolique sans impact opérationnel majeur. L’Ukraine frappe déjà la Russie, la Russie avance, l’Occident se débat dans une posture de communication. Et pendant que les discours s'enchaînent à Berlin, Moscou, elle, consolide son contrôle territorial et redéfinit la sécurité régionale à ses conditions.
Si la rhétorique allemande prétend encore orienter le cours du conflit, le terrain, lui, raconte une tout autre histoire.
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